L'histoire

On s'est tous dit au moins une fois dans notre vie que l'on aurait dû rester au lit, sagement enfoui sous les draps et les couvertures à écouter les bruits de la maison et de la ville au dehors. On s'est tous dit un jour qu'on aurait dû rester passif, ne rien tenter de faire car tout va de travers, attendre seulement que le temps passe en contemplant le plafond de la chambre et les nuages qui défilent derrière les fenêtres.

Ce matin du 30 mai 2010 à 11H30, Emilie travaille dans le laboratoire de haute sécurité biologique de niveau 3 de l'unité. Il faut savoir qu'il existe quatre niveaux de sécurité en laboratoire de recherche scientifique, le niveau un étant le laboratoire basique et le niveau quatre classant le laboratoire comme laboratoire de sécurité maximale. Du type de pathogène manipulé va dépendre la structure qui va être utilisée.

Emilie travaille donc ce jour là sur des échantillons de souris infectées avec des souches de prions humaines. ll est important de souligner ici qu'il s'agissait de souches humaines et non de souches animales, la barrière d'espèce ne protégeant plus, l'infectiosité des pathogènes manipulés par Emilie était donc totale.

Elle manipule aujourd'hui un appareil dangereux et elle en est consciente : un cryostat, une machine équipée de lame de rasoir dont le but est de réaliser des tranches le plus finement possible de divers organes d'animaux. Elle s'applique et fait très attention comme elle l'a toujours fait.

Elle travaille bien, Emilie, rigoureusement et avec précaution comme à son habitude. Et puis elle est équipée, elle porte les doubles paires de gants en latex qu'on lui a demandé de mettre.

Elle dérape, sa main droite qui tient un outil potentiellement contaminé avec des souches de prions humains glisse et vient lui entailler le pouce gauche. Bien sûr, deux paires de gants en latex n'auront servi à rien pour empêcher l'outil d'entailler la peau et de faire apparaitre une petite plaie saignante.

Elle panique, Emilie. Heureusement sa collègue qui manipule dans son dos l'a entendue. En poste titulaire depuis plusieurs années dans cette équipe, elle est à même de s'occuper de ce genre d'accident. Elle commence par rassurer Emilie et puis l'invite à sortir du laboratoire confiné. Il faut passer le premier sas, enlever les gants percés, retirer les surchausses, la blouse et la coiffe de tête ainsi que les masques de protection. Et puis elles arrivent dans le deuxième sas qui permet lui de sortir dans les couloirs en zone propre. Sa collègue décide de la diriger vers un laboratoire de l'équipe, il faut qu'un Sauveteur Secouriste du Travail s'occupe d'elle ! Elles remontent alors un couloir puis cherche le SST. Après l'avoir trouvé celui-ci commence une décontamination à la Javel puis soigne la plaie d'Emilie. Le chef d'équipe est averti. Tout le monde présent autour d'Emilie ce jour- là rit, il n'y a qu'une toute petite piqure de visible maintenant, rien de bien grave... Un accident du travail est tout de même déclaré.

Pourtant, et déjà depuis plusieurs minutes à cause d'une procédure de décontamination beaucoup trop tardive, l'agent pathogène se promène dans la circulation sanguine d'Emilie...

7 ans plus tard...

Extraits du journal d'Emilie

Novembre 2017 :

Je ressens des douleurs dans l'épaule et le cou côté droit. Je commence par mettre ces douleurs sur le compte des travaux que nous avons faits et essaye de les ignorer.

Janvier à avril 2018 :

Les douleurs deviennent de plus en plus persistantes et fortes, ce qui m'amène à consulter kinés et ostéopathes. J'en parle également à mon médecin traitant qui m'envoie faire une radiographie de l'épaule droite. Cet examen se révèle normal

Début juin 2018 :

Les douleurs sont toujours présentes et handicapantes. Sur prescription de mon médecin généraliste, je suis plusieurs séances de kiné. Les douleurs s'étendent maintenant de l'oreille droite jusqu'à la fesse droite. Je prends également l'initiative d'aller consulter un chiropracteur.

Juillet 2018 :

Nous partons en vacances. Le parcours en voiture est difficile, douloureux, Je suis fatiguée et on me dit dépressive. Au retour mon médecin traitant me prescrit un décontractant musculaire, des séances de kiné, et une radiographie du rachis cervical qui s'avéra normale

Aout 2018 :

Je me sens dépressive et mes douleurs sont toujours plus fortes. J'essaye de retracer l'évolution de ma maladie mais n'y comprends rien. Nous partons dans la famille en Bretagne, mes douleurs sont toujours localisées sur l'oreille, l'épaule, le cou, le bassin style « sciatique » du côté droit. Il m'est impossible de me baigner, de marcher, de faire toute activité physique et tâche ménagère. Les nuits sont très compliquées, avec une impossibilité pour dormir.

Septembre 2018 :

Je passe un IRM du rachis cervical, tout est normal. Nous enchainons mon époux et moi par un rendez-vous avec une rhumatologue à l'institut Arthur Vernes à Paris qui ne trouve rien et nous recommande d'aller voir un neurologue. Mi -Septembre, les douleurs sont tellement fortes que nous nous sommes rendus aux urgences de l'hôpital privé Jacques Cartier à Massy. Il m'est prescrit de la morphine et le port d'une minerve dans l'attente d'un rendez-vous avec un neurologue à l'institut Vernes. La consultation avec ce docteur conclut à un examen neurologique normal mais un état dépressif.

Je rentre alors dans le cercle infernal des médicaments anti douleurs et des anti dépressifs.

Devant mon désarroi et le manque de considération de mon médecin traitant, mon époux demande à son médecin traitant de me prendre en charge. Celui-ci décide de reprendre le dossier à zéro : bilan sanguin, électromyogramme, radio complémentaire, tout est normal. Il décide de m'envoyer à une consultation privée chez un neurologue très réputé à Paris qui conclut que tout est normal et donne un traitement pour soulager rapidement la douleur. La prescription d'un médicament (RIVOTRIL) me permet de retrouver des nuits plus apaisées et réparatrices.

Novembre 2018 :

Malgré ce traitement, les douleurs ne passent pas et les arrêts de travail s'enchainent. Le médecin traitant avoue son désarroi et me dirige en médecine interne à l'hôpital de Bligny. Je rentre en hospitalisation une semaine. Les docteurs essayent un traitement d'exclusion vis à vis de la maladie de Lyme et me laisse repartir chez nous.

Je suis enfin rassurée d'avoir une réponse médicale et un traitement à mettre en œuvre.

Malheureusement mes douleurs reprennent de plus belles, au bout d'une semaine je suis ré hospitalisée dans le même service de médecine interne. Un premier IRM cérébral est réalisé qui est interprété normal. Les docteurs s'orientent vers un trouble de conversion (problème psychiatrique) et nous laisse désemparés face à ces douleurs.

Les douleurs deviennent insupportables, la position assise m'est intolérable (je suis obligée d'être assise sur plusieurs piles de coussins que j' emmène à chaque déplacement avec moi), la position couchée est extrêmement difficile (les pieds ne pouvant entrer en contact avec les draps sans créer de douleurs), le bras droit n'est plus en mesure de faire quoi que ce soit sans déclencher de vive douleurs. Toutes les taches et loisirs sont arrêtés malgré tous les antidouleurs.

Devant cette descente aux enfers et l'inefficacité des médicaments je décide d'utiliser les médecines alternatives. Magnétiseurs, hypnotiseurs, ostéopathes, kinés et auriculothérapeutes, j'essaye tout sans résultats. En parallèle, malgré une certaine réticence j'accepte le suivi par un psychologue et un psychiatre.

Mon époux concilie son travail et l'appui psychologique et technique dont j'ai besoin, en faisant au mieux.

Fin 2018, le journal d'Emilie s'arrête....

Début février 2019, Emilie a commencé à présenter des signes de confusion mentale. Paniqués par ces nouveaux symptômes, son époux et elle sont dirigés aux urgences de l'hôpital d'Orsay. Devant ce tableau clinique et la mention de la blessure avec une souche de prion, un neurologue de la Salpetrière décide de mener les examens afin d'écarter cette suspicion. Emilie est hospitalisée dans le service de neurologie.

Un IRM cérébral est passé le 14 février 2019 qui s'avère révélateur d'une encéphalopathie. Tous les examens nécessaires sont alors réalisés afin d'écarter d'autres causes possibles. Cependant l'ensemble des examens réalisés, longs, douloureux, n'a pas permis de suggérer un diagnostic alternatif.

La Cellule Nationale de référence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob de la Pitié-Salpétrière après avoir mené une enquête conclut au lien entre l'accident du travail d'Emilie à l'INRA et sa maladie.

Le diagnostic de la maladie de Creutzefldt-Jakob tombe alors sous sa forme nouveau variant. 

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